Blogs de l’ICANN

Lisez les blogs de l’ICANN pour vous tenir au courant des dernières activités d’élaboration de politiques, des événements régionaux et bien plus encore.

Le Pacte numérique mondial : Une tentative d’approche descendante pour minimiser le rôle de la communauté technique

21 août 2023
Par , et

Le blog suivant a été rédigé conjointement par Sally Costerton, de la Société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet (ICANN), Paul Wilson du Centre d’information du réseau Asie-Pacifique (APNIC), et John Curran, du Registre américain des numéros d’Internet (ARIN). Il vise à sensibiliser et à mettre en lumière les préoccupations de la communauté technique concernant les commentaires récents du Bureau de l’envoyé du Secrétaire général pour la technologie (OSET) des Nations Unies (ONU) qui semblent négliger une distinction importante entre les rôles respectifs de la communauté technique et de la société civile dans l’écosystème de l’Internet.

La communauté technique est responsable du développement et du fonctionnement de l’Internet interopérable unique. À ce titre, il ne faut pas la confondre avec les autres parties prenantes du modèle multipartite de gouvernance de l’Internet qui établit une distinction claire entre leurs rôles et leurs fonctions. C’est l’équilibre coopératif entre toutes ses parties prenantes qui assure le fonctionnement de l’Internet.

Le Pacte numérique mondial (GDC) : une tentative d’approche descendante pour minimiser le rôle de la communauté technique

Le succès de l’Internet est le résultat d’un modèle multipartite de gouvernance de l’Internet bien établi qui a été décrit dans le rapport du groupe de travail des Nations Unies sur la gouvernance de l’Internet (WGIG) en 2005, réaffirmé dans l’Agenda de Tunis du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), et aussi dans le document final du SMSI+10. Parmi les composantes essentielles de ce modèle identifiées dans ces documents figure la communauté technique : un groupe d’organisations et de communautés d’intérêts associées qui jouent des rôles critiques spécifiques par rapport au fonctionnement technique quotidien de l’Internet. Collectivement, la communauté technique partage l’obligation de gérer les ressources Internet, telles que le développement des protocoles, la gestion des identificateurs uniques, les composantes d’infrastructure de base, et autres, qui se traduisent par un fonctionnement stable, fiable et résilient.

Note d’information politique du secrétaire général de l’ONU sur le GDC

Le 19 juin 2023, au cours du Dialogue européen sur la gouvernance de l’Internet, l’envoyé du Secrétaire général des Nations Unies pour la technologie (envoyé technique de l’ONU), l’ambassadeur Amandeep Gill a déclaré,

« La préparation du nouveau Forum de coopération numérique est tripartite, c’est-à-dire que ces mêmes termes sont repris partout dans la société civile, qui inclut tous les acteurs de la communauté technique, du secteur académique, et la valeur de l’expertise scientifique indépendante, en particulier autour de l’IA. C’est clairement compris aujourd’hui, il y a le secteur privé et il y a les gouvernements ».

Note d’information politique du secrétaire général de l’ONU suggère qu’il existe un nouveau modèle « tripartite » pour la coopération numérique, dans lequel il n’y a que trois groupes de parties prenantes : le secteur privé, les gouvernements et la société civile (qui comprend la communauté technique). Autrement dit, ce modèle exclut la communauté technique en tant que composante distincte et néglige les rôles uniques et essentiels que jouent les membres de cette communauté séparément et collectivement.

Ce concept « tripartite » a été introduit dans la Note d’information politique du secrétaire général de l’ONU (UNSG). L’ambassadeur Gill a donné une définition plus détaillée de ce que l’OSET envisage. Ce concept semble se baser sur une seule mention du mot dans le rapport du Conseil consultatif de haut niveau sur un multilatéralisme efficace (HLAB, un autre organe créé par le secrétaire général des Nations Unies). Le rapport traite de l’inclusion et des obligations du secteur privé (Recommandation 3, p. 18). En ce qui concerne la participation de la communauté technique à ces processus de l’ONU, le rapport mentionne «... l’engagement régulier, prévisible et structuré de la société civile, du secteur privé, du secteur académique et d’autres entités techniques, telles que les organismes de normalisation... » (p. 41), et ceci n’est utilisé que dans l’argument plus large sur la raison pour laquelle la Commission mondiale pour une numérisation juste et durable devrait être créée sous l’égide du Secrétaire général des Nations Unies.

Attirer l’attention sur les questions critiques

En tant que participants de la communauté technique, nous aimerions sensibiliser à cette évolution et à la tentative de changer le modèle multipartite de gouvernance de l’Internet. Note d’information politique du secrétaire général de l’ONU concernant le Dialogue européen sur la gouvernance de l’Internet (EuroDIG) constitue un pas en arrière important par rapport aux accords conclus au SMSI, à l’Agenda de Tunis du SMSI et au document final de révision du SMSI+10.

La communauté technique ne fait pas partie de la société civile à laquelle elle n’a jamais appartenu ; elle est largement reconnue dans le processus du SMSI, qui a défini les rôles et les fonctions de chacune des parties prenantes engagées dans le développement de l’Internet.

L’Agenda de Tunis du SMSI, dans son paragraphe 35, reconnaît les différentes parties prenantes et leurs rôles :

« 35. Nous réaffirmons que la gestion de l’Internet englobe à la fois des questions techniques et des questions de politique publique et devrait impliquer toutes les parties prenantes et les organisations intergouvernementales et internationales compétentes. À cet égard, il est reconnu que :

  1. L’autorité en matière de politiques publiques liées à l’Internet relève du droit souverain des États qui ont des droits et des responsabilités en ce qui concerne les questions de politique publique internationales liées à l’Internet.
  2. Le secteur privé a joué, et devrait continuer à jouer, un rôle important dans le développement de l’Internet, tant dans le domaine technique que dans le domaine économique.
  3. La société civile a également joué un rôle important dans le domaine de l’Internet, en particulier au niveau de la communauté, et devrait continuer à jouer ce rôle.
  4. Les organisations intergouvernementales ont joué, et devraient continuer à jouer, un rôle de facilitation dans la coordination des questions de politique publique liées à l’Internet.
  5. Les organisations internationales ont également joué et devraient continuer à jouer un rôle important dans l’élaboration de normes techniques relatives à l'Internet et des politiques correspondantes ».

En outre, l’Agenda de Tunis du SMSI poursuit, au paragraphe 36 :

« 36. Nous reconnaissons la précieuse contribution des communautés académique et technique au sein des groupes de parties prenantes mentionnés au paragraphe 35 concernant l’évolution, le fonctionnement et le développement de l’Internet ».

Autrement dit, les secteurs académique et technique sont des acteurs spécifiques qui contribuent au travail de chacun des groupes mentionnés au paragraphe 35.

Le document final du SMSI+10 est encore plus spécifique, car il indique à plusieurs reprises que la communauté technique est différente de la société civile, par exemple :

« 3. En outre, nous réaffirmons les valeurs et les principes de coopération et de dialogue entre les diverses parties concernées qui caractérisent depuis toujours les mesures visant à donner suite aux textes issus du Sommet mondial sur la société de l’information, sachant que la participation, le partenariat et la coopération véritables des gouvernements, du secteur privé, de la société civile, des organisations internationales, des secteurs technique et académique et de toutes les autres parties prenantes concernées, selon leurs rôles et leurs responsabilités respectifs, avec une représentation équilibrée des pays en développement, demeurent essentiels à la construction de la société de l’information ».

Le document final du SMSI+10 mentionne la communauté technique aux points 2, 12, 49, 57, 61, 66, ainsi que dans le paragraphe de bienvenue.

Dans ces documents fondamentaux, il n'existe pas de structure « tripartite » du type de celle suggérée par l'envoyé technique des Nations unies. En outre, rien n’indique que seuls trois groupes de participants peuvent participer à la gouvernance de l’Internet.

Soutien au modèle multipartite de gouvernance de l’Internet

Nous nous engageons à soutenir le modèle multipartite de gouvernance de l’Internet, qui a été longuement discuté (avec la pleine participation de toutes les parties prenantes) au cours des deux phases du SMSI et qui est reflété dans le rapport du groupe de travail des Nations Unies sur la gouvernance de l’Internet (WGIG). Le rapport du WGIG explique en détail le fonctionnement de chacune des « principales parties prenantes » (voir les points 29 à 34 du rapport du WGIG), en expliquant en particulier que « la communauté technique et ses organisations sont profondément impliquées dans l’opération, la normalisation de l’Internet et le développement des services Internet » (point 33). D'autre part, la société civile joue un rôle distinct et séparé, comme décrit au point 32.

Le SMSI et le SMSI+10 qui en a suivi ont clairement affirmé le modèle multipartite de gouvernance de l’Internet accepté à l’échelle mondiale et ont déterminé la meilleure façon de déployer et de développer l’Internet. Bien que nous ne soyons pas en mesure d’influencer directement les processus internes du secrétariat de l’ONU, nous aimerions sensibiliser le public à la direction que prend le processus GDC et aux risques que comporte l’exclusion de la communauté technique de l’Internet de ces processus et discussions.

Enfin, nous devons souligner le succès de l’Internet, à ce jour, et au cours des 20 années qui se sont écoulées depuis le début du processus du SMSI. Lorsque le SMSI s’est achevé en 2005, il y avait un milliard d’utilisateurs d’Internet dans le monde. Aujourd’hui, il y en a plus de cinq milliards, mais l’Internet continue d’évoluer et de s’adapter aux besoins de l’humanité, plus récemment lors de notre réponse au défi sans précédent de la pandémie de COVID. Ce succès doit être reconnu comme un témoignage important non seulement de l’Internet en tant que plate-forme technologique, mais aussi du modèle multipartite qui le régit.

La communauté technique continuera certainement à jouer son rôle essentiel dans l’avenir de l’Internet, et il incombe aux Nations Unies de reconnaître cette réalité dans sa formulation de tout processus futur lié à la gouvernance de l’Internet.

Authors

Sally Costerton

Sally Costerton

Sr. Advisor to President & SVP, Global Stakeholder Engagement and Interim President & CEO

Paul Wilson

Director General, APNIC

John Curran

President and CEO, ARIN